Le parcours d’Antoine Mestrallet est ce que l’on pourrait qualifier d’insolite. Après des études en École de Commerce, ses premières expériences du monde du travail se matérialisent sous la forme d’un stage en marketing chez Google, puis d’une découverte des rouages de l’investissement, entre Bpifrance et Idinvest. Il passe ensuite deux ans à travailler sur le sujet de l’employabilité des collaborateurs en entreprise, par le biais de son rôle de Product Manager au sein de Learn Assembly.
Ce parcours et cette exposition directe à l’univers tech et à ses codes fait rapidement naître un questionnement chez Antoine : celui de la place du numérique dans nos vies - celle qu’il occupe aujourd’hui, et celle qu’il pourrait occuper demain. Un questionnement qui fait echo chez Kevin Echraghi et Simon Humeau, et avec qui il décide de créer Hérétique, une organisation convaincue qu’un autre numérique est possible.
Lancé publiquement en juillet 2020, le collectif compte déjà ses trois instigateurs à temps plein (un terme choisi pour ne pas reprendre le vocable classique de l’entreprise). En parallèle, des artistes collaborent avec Hérétique sur des projets.
“Pour nous, le numérique, c’est un peu rendre l’homme plus machine et la machine plus humaine”, commence Antoine en revenant sur la génèse d’Hérétique.
“Nous avons voulu réagir à cela - en questionnant l’impact sur les sociétés et les individus, par plusieurs biais : celui d’un prisme de souveraineté économique, celui de la culture, celui de l’impact écologique, celui de vie privée…”
Au-delà de penser des alternatives, Hérétique en crée et en transmet également, sous plusieurs formes :
L’initiative Algoville, par exemple, est un projet de dessin animé : “Nous sommes partis de l’idée qu’il est compliqué d’expliquer ce que sont les algorithmes. Nous les avons donc personnifiés selon leurs fonctionnalités”, décrit Antoine. Ainsi, plusieurs personnages vivent dans la ville des algorithmes :
“Cette méthode nous permet de mieux faire comprendre aux étudiants et aux dirigeants les implications des algorithmes, et de les questionner sur leurs propres décisions et usages”
Le projet Mejnoun quant à lui, explore la pratique du cadeau à l’ère numérique, en proposant d'offrir une boîte à musique en bois conçue pour ne jouer qu’une seule et unique chanson, et dotée d’une durée de vie de 30 ans. Un choix définitif et personnalisé à l’extrême en fonction du récepteur du cadeau, à l’extrême opposé de ce que nous permet aujourd’hui le digital !
L’application mobile Dérive, elle, est “un outil pensé pour les villes européennes, biscornues, dans lesquelles on a vocation à flâner”, comme la décrit Antoine.
L’objectif derrière chacune de ces initiatives ? “Vulgariser, questionner l’impact, la pertinence et la légitimité de ce numérique toujours plus intégré dans nos vies. Il incombe à chacun de comprendre, puis de reprendre le dessus sur ses choix”, assène Antoine. Quand on lui demande à quoi devrait ressembler ce numérique alternatif qu’explore Hérétique, il sourit et répond :
“Nous n’avons bien sûr pas la réponse, mais il y a un concept que nous aimons beaucoup : celui de la navigation négative de Baptiste Morizot. L’idée est qu’au milieu d’un océan, lorsque l’on a aucune idée d’où aller, il faut s’éloigner des obstacles potentiels. Nous appliquons le même concept pour le numérique : inventer en s'écartant des modèles omniprésents et de leurs aspects toxiques.”
Cette recherche prend chez Hérétique de nombreuses facettes. Celle d’un questionnement sur la structure (la collectivité plutôt que l’entreprise ?), ou les ambitions des acteurs économiques d’aujourd’hui (conquérir le monde est-il un objectif sain ?), ou encore sur la temporalité et la portée géographique… Toutes ces questions contribuent à esquisser un nouveau modèle plus souhaitable pour demain, à l’encontre des méthodologies classiques.