Du slow tourisme au low-tech : changer le paradigme

Du slow tourisme au low-tech : changer le paradigme

Le slow tourisme a le vent en poupe. Mais il peut aussi revêtir une dimension militante et constructive, comme l'aspire le mouvement low-tech. Ingénieux, pragmatique et durable, le low-tech veut en finir avec le voyageur automate, et séduit les jeunes générations.

Slow tourisme : il est urgent de ralentir !

Vous vous souvenez du lapin dans Alice au pays des Merveilles qui courait partout en répétant “je suis en retard, en retard” ? Et bien c’est un peu ce que chacun d’entre nous ressentait avant qu’une pandémie ne vienne mettre un coup d’arrêt brutal à notre course effrénée.

Même la génération Z (qui ont entre 20 et 25 ans) reprend à son compte ce besoin urgent de ralentir. Sur TikTok, le hastag #cottagecore (littéralement "au cœur du chalet" en anglais) en est à 4 milliards de hashtags. La tendance "cottagecore" romantise la campagne, loin des remous de la ville et du béton. Cette esthétique propose une version idéalisée de la vie champêtre: bouquets de fleurs, animaux sauvages, activités tricot et poterie se bousculent avec des photos d'intérieurs surannés qui nous feraient presque oublier que nous sommes en 2021.

un aperçu du contenu du hashtag #cottagecore sur Instagram

Cette tendance en dit beaucoup sur le repli actuel qui s'opère autour de la vie domestique, mais elle est aussi intéressante pour prendre la mesure du ras-le-bol de l'hyperconnexion (même si on peut noter l'ironie de se mettre en scène avec les mêmes outils qu'on décrie !).

Sur cette question, le slow tourisme tend à apporter quelques éléments de réponse. L’idée étant de se déconnecter de l’hyperconnexion, à l’instar de ce géographe anglais qui a décidé de créer une “carte lente” des randonnées, qui prend le contre-pied des réseaux autoroutiers. "Slow Ways" est alimenté par une armée de bénévoles et donne les itinéraires de 7 000 sentiers pour relier les villes de Grande-Bretagne. Le parti-pris est donc militant : au delà du plaisir de la marche, c'est une tentative de créer un réseau routier piétonnier, une alternative lente aux routes principales.

Encore plus que "slow", le projet est "low-tech" : il privilégie des techniques simples et accessibles au plus grand nombre, au détriment de solutions plus sophistiquées. Prendre le temps d’observer, d'être déstabilisé, de s’interroger, en lieu et place du “prêt-à-penser”... et du "prêt-à-consommer".

Le low-tech, kézako ?

Les techniques low-tech privilégient le bon sens et l'ingéniosité, pour proposer des solutions utiles, accessibles et durables. Le Low-tech Lab synthétise la vision low-tech sur son site :  utile en répondant aux besoins essentiels à l'individu et au collectif, accessible en étant appropriable par le plus grand nombre et durable en limitant les impacts écologiques, sociaux et sociétaux.

Le low-tech fait la part belle à l'ingéniosité, à la récupération des matériaux, mais aussi au retour aux savoirs d'antan : ce qui est éprouvé depuis longtemps a-t-il besoin d'être sans cesse upgrader technologiquement ?

Les techniques low-tech ne font pas nécessairement l'impasse sur la technologie, mais l'utilisent avec circonspection et frugalité : sa place est questionnée, car l'un des buts du mouvement est de remettre l'humain (et donc l'usager) au cœur des préoccupations.

Adapté à notre secteur, le tourisme low-tech, c’est une façon d’appréhender la technologie au service d’un tourisme de la frugalité et d’une mobilité douce. En milieu urbain, cela va par exemple se traduire par une politique des transports favorisant le déplacement à vélo et d’autres outils à faible empreinte carbone. Un ralentissement donc, qui vient contrebalancer la place croissante de l’automatisation dans le tourisme.

Un pas de côté salutaire face à la technologisation du tourisme

Le tourisme low-tech se heurte à la réalité de l’automatisation dans le tourisme : force est reconnaître que là où une machine remplace un homme, le risque d’un appauvrissement des rapports sociaux est bien présent.

Certaines activités du secteur, parce que liées à un savoir-faire traditionnel ou à une connaissance du terrain, sont considérées comme “non délocalisables”. C’est le cas, entre autres, des guides touristiques. Mais ce tropisme a été quelque peu bousculé par la montée en puissance des IOT (Internet of Things ou Internet des Objets en français), dont la plupart ont pour principale caractéristique de supprimer les intermédiaires entre l’information et l’utilisateur. Le visiteur peut par exemple retrouver toutes les informations dont il serait susceptible d’avoir besoin sur une tablette : exit les offices de tourisme, le guide local ou même la sérendipité.

Cette simplification apparente de l’expérience voyageur par la technologie interroge : quelle pertinence à avoir entre les mains un guide touristique des Ardennes conçu par intelligence artificielle et piloté depuis Shanghai ? Finalement, en palimpseste, le tourisme low-tech s’inscrit dans une même réaction que d’autres initiatives politico-sociales face aux incongruités de la globalisation. C’est un moyen de remettre du sens au cœur d’une des activités les plus intrinsèquement sociales qui existent.

Informations sur le voyage, check-in automatisé, room service digital continuent d’être perçus comme des avantages parce qu’ils favorisent un gain de temps et d’argent, tant pour le voyageur que pour le prestataire de services. Il serait tentant d'opposer la transformation digitale généralisée de la filière avec le mouvement low-tech, comme deux visions du monde diamétralement opposées. La réalité est plus nuancée et contre toute attente, on peut effectuer des changements en accord avec les principes du low tech. Avec son volet RSE, Décathlon s'est engagé à stocker sa plateforme sur des serveurs refroidis à l'énergie solaire par exemple.

La culture "do it yourself", chère au mouvement low-tech, remet l'invention au centre et encourage une application créative et expérimentale des compétences de la communauté : réutilisation de matériaux pour en faire du mobilier, douche à énergie solaire, système de filtration de l'eau..

En finir avec le voyageur automate

Au delà de la technologisation accrue de la filière, c'est le voyageur qui s'est robotisé :  les comportements tendent à se liquéfier dans un conformisme automate. Lequel d’entre-nous ne s’est pas déjà surpris à passer plus de temps à prendre des photos en rafale d’un coucher de soleil qu’à réellement s’imprégner de l’émotion suscitée ? Là encore, l’émergence des technologies de pointe a considérablement modifié notre rapport au temps et à l’espace. Ce que vient proposer le tourisme low-tech, c’est un rééquilibrage. Ainsi, des agences comme Chilowé ou 2 jours pour vivre se sont spécialisées dans la micro-aventure. Elles proposent des escapades pour aller admirer les étoiles avec un passionné d’astronomie local par exemple. Bref, des activités pour nous ré-apprendre à rêver.

Utiliser les technologies à bonne escient pour replacer le voyageur au cœur de l'expérience, c'est ce que propose aussi l'application Dérive. Écoutez la présentation d'Antoine Mestrallet :

L'application Dérive est résolument low-tech : elle se télécharge sur un smartphone basique, elle est peu énergivore et utilise uniquement la boussole intégrée à l'appareil. Hérétique, le studio qui conçoit l'app, milite pour la sobriété des algorithmes et un usage raisonné du numérique.

Ajouter du mystère et de la flânerie dans les déplacements du quotidien, des vœux qui doivent inspirer notre secteur. La culture low-tech peut créer de nouvelles formes de poésie, un réenchantement du monde trop souvent aseptisé, et un cercle vertueux entre sobriété de nos prestations et richesse des souvenirs que nous créons.

Low-tech et déconnexion à la sauce Millenials

Les Millennials ont cette particularité d’être très à l’aise avec la technologie tout en ayant connu le monde d’avant. Ils ont donc un rapport plus critique que la Génération Z n’ayant jamais expérimenté la vie sans Internet ni téléphone portable. Cette conscience aiguë des enjeux environnementaux, ils l’associent aux impératifs de leur santé mentale. D’où le fait qu’ils soient de plus en plus nombreux à vouloir fuir le trop-plein digital et à privilégier de nouvelles manières de voyager... et des alternatives low-tech qui séduisent de plus en plus de gens en quête de sens et d'humain.

Amélie Deloffre, fondatrice de 2 jours pour vivre, est la porte étendard de cette lame de fond, qui réclame des prestations touristiques frugales mais facilitatrices pour un week-end déconnecté, écoutez son analyse :

Avec des initiatives comme la Mad Jacques, une aventure vélo qui associe convivialité et système D, ou "En immersion”, qui propose des rencontres chez l’habitant et hors des sentiers battus, la génération Y montrent leur volonté de recréer du lien via le retour au localisme et à une vie de communauté.

Exemple d'aventure low-tech proposée sur le site de la Mad Jacques

Finalement, le tourisme low-tech marque un besoin d’appuyer sur pause, pour retourner à soi et surtout retourner au “nous”.

Aux destinations d'imaginer des prestations et installations ingénieuses, qui intègrent les technologies en leur donnant du sens et un élan créatif et rassembleur : les techniques de design thinking, qui allient co-créativité, intuition et retours permanents de l'utilisateur final, sont tout indiquées pour insuffler une dose de low-tech dans notre secteur.

Aller plus loin :

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L’automatisation du tourisme est-elle un risque pour le renouvellement des emplois ?
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