La réalité virtuelle peut-elle sauver le soldat tourisme ?

La réalité virtuelle peut-elle sauver le soldat tourisme ?

La réalité virtuelle est-elle l’avenir du tourisme ? La montée en puissance des expériences immersives offre de nouvelles opportunités de développement aux acteurs du secteur, tout en donnant la possibilité aux voyageurs de se connecter à une forme d’évasion inédite, ludique et plus verte. Les innovations technologiques actuelles, comme les lentilles de contact augmentées, nourrissent de grands espoirs pour rendre la pratique touristique toujours plus créatrice de lien social. Demain, tous connectés, entre nous !

Expérience immersive à la découverte de la pyramide de Khéops, vidéo à 360° pour flâner sur une plage des Caraïbes… Ces dernières années, la vague de la réalité virtuelle déferle sur le secteur touristique, apportant un vent de fraîcheur et d’innovation sur une filière qui aspire à un nouveau souffle. Derrière l’attrait d’une technologie dont le champ des possibles reste encore à explorer, c’est toute la question de l’expérience voyage dans sa globalité qui est repensée. Alors, la réalité virtuelle peut-elle sauver le soldat tourisme ?

Une arme de séduction massive

Longtemps envisagée comme l’apanage de l’univers de la science-fiction, la réalité virtuelle envahit aujourd’hui le secteur du tourisme. Alors la réalité virtuelle, quésaco ? 

Elle se comprend comme le fait de plonger l’utilisateur dans un monde artificiel, créé numériquement. En combinant images vidéos et 3D et en utilisant des dispositifs haptiques (qui reproduisent les sensations de toucher), elle permet à l’utilisateur de se téléporter ailleurs. La réalité augmentée, quant à elle, conjugue virtuel et réel. Par exemple, le jeu mobile Pokémon Go propose une expérience de réalité augmentée : les images virtuelles de créatures imaginaires apparaissent en scannant un environnement bien réel. Ces deux approches sont en fait complémentaires. Là où la réalité augmentée ajoute une “surcouche” sur le réel, la réalité virtuelle coupe son utilisateur du monde extérieur.

Aujourd’hui, ces technologies peuvent jouer un rôle à chaque étape du cycle de voyage. On peut en effet les envisager comme une arme de séduction massive, avant même la réservation. Grâce à des vidéos à 360°, les voyageurs se projettent dans leur prochaine destination. L’agence de voyages en ligne Expedia a d’ailleurs opté pour ce type de formule via une application dédiée. L'utilisateur a ainsi la possibilité de découvrir la chambre dans laquelle il va dormir. Un véritable atout, à la fois pour le prestataire, et pour le baroudeur.

La réalité virtuelle pourrait bien révolutionner la pratique touristique en redéfinissant le voyageur lui-même.

Du voyageur au voyag’acteur

L’utilisation de la réalité virtuelle comme expérience touristique semble apporter de nouveaux éléments de réponse, en faveur d’un tourisme participatif. Une expérience de découverte dans laquelle le visiteur n’est plus seulement passif mais est invité à jouer un véritable rôle dans la compréhension du territoire qu’il visite. C’est d’ailleurs dans cette démarche que s’inscrivent des initiatives comme celle développée récemment par la région Centre-Val-de-Loire. Avec le “Centre-Val de Loire Fortnite Tour”, les joueurs du célèbre jeu vidéo Fortnite sont en compétition pour rebâtir au plus vite les emblématiques Châteaux de la Loire. Chaque semaine, ils peuvent profiter d’une visite virtuelle, agrémentée d’anecdotes historiques. Un projet qui utilise les codes de la gamification pour atteindre de nouveaux publics et démocratiser l’accès au tourisme.

Cette ludification du voyage par la réalité virtuelle n’est qu’un des aspects des transformations d’un tourisme du partage, phénomène accéléré par les réseaux sociaux. Les mordus de nature n'ont d'ailleurs pas attendu les initiatives des pros du tourisme pour vivre des échappées belles aussi enthousiasmantes qu'un bol d'air pur : La Slow TV est une autre tendance de fond qui en atteste. Apparue en Norvège à la fin des années 2000, elle tire le meilleur parti des confinements planétaires : les séquences "slow tv" sont longues, très longues, et se focalisent sur la prise de vue d'une scène ou d'un évènement dans son intégralité, la plupart du temps sans montage.  la "télévision lente", c'est le pendant sobre de la télé-réalité ! La télé publique norvégienne a par exemple filmé en 2009 le trajet Oslo-Bergen d'un train pendant 9 heures : un vrai carton d'audience.

A la faveur de la situation sanitaire, cette curiosité télévisuelle a investi Youtube et les randonnées immersives fleurissent sur le Web. Ainsi, sur YouTube, la chaîne 4K Relaxation Channel, qui compte 730 000 abonnés, propose à son audience des randonnées virtuelles aux quatre coins du monde :

Cette vidéo propose, en qualité haute définition, 2h45 de randonnée du point de vue du randonneur comme si vous y étiez. Des forêts enneigées du Canada aux jungles tropicales, en passant par les lacs de Plitvice en Croatie, le spectateur parcourt le monde depuis son salon.

Autre initiative, Escapista est un portail de curation de vidéos "Slow TV" : promenades urbaines ou ferroviaires, randonnées et scènes de nature... il y en a pour tous les goûts. Choisissez une chaîne et laissez votre esprit vagabonder avec de superbes vidéos ambiantes.Le but affiché par les créateurs : procurer de la joie et de l'apaisement en ces temps incertains. Et pour les professionnels du tourisme, allécher les futurs visiteurs ?

Les technologies immersives ouvrent un angle nouveau sur le monde, découvert à travers les yeux d’un autre. Pour se rendre compte du phénomène, rendez-vous là où les aficionados se retrouvent, sur le salon Reddit SlowTV, judicieusement dénommé "Television at the speed of life" ("la télévision sur le même rythme que la vie").
La réalité virtuelle permet alors de rendre le voyage interactif et dynamique pour le voyageur : devenu voyag’acteur, il vit pleinement une aventure qui dépasse la simple consommation de services. Parallèlement, ces dispositifs 2.0 offrent de nouvelles clés au service de la valorisation des territoires.

Des possibilités de médiation illimitées

Et c’est d’ailleurs tout l’avantage de l’utilisation des technologies de réalité virtuelle. Donner à voir plus loin que le regard. Dépasser les limites géographiques, mais aussi historiques. Qui n’a jamais rêvé de pouvoir se transporter dans le Paris du XIXe siècle ? D’admirer certains des bâtiments les plus emblématiques de la capitale à l’époque même de leur construction ?

Bien plus que de rendre accessible une simple destination, la réalité virtuelle repousse les frontières de l’imagination au service du rayonnement des territoires. Utilisée ainsi, elle permet de valoriser le patrimoine, de faire (re)découvrir la destination sous un jour inédit, à la fois attractif et ludique. Un potentiel bien compris par certaines communes comme celle de Carlat dans le Cantal. En 2016, l’ancien maire décide de mettre en place des dispositifs de réalité virtuelle pour ressusciter une forteresse détruite sous Henri IV. Grâce à un casque en VR, les visiteurs déambulent dans ce fort médiéval. Ils peuvent également découvrir l’histoire du lieu via plusieurs écrans rotatifs immersifs de réalité augmentée.

La réalité virtuelle ouvre donc de nouvelles portes pour les acteurs publics et privés du tourisme. Mais loin d’être une nouvelle lubie au service du “consommer plus”, ces technologies peuvent devenir une véritable opportunité de penser le tourisme responsable.

Le virtuel au service de la planète

La crise sanitaire a eu pour effet d’accélérer les réflexions sur le modèle économique du tourisme de masse et ses conséquences sur l’environnement. Selon un sondage de décembre 2020 réalisé par Booking auprès de 1000 voyageurs français, près de 63 % d’entre eux attendent des solutions de voyage plus durables .

La réponse pourrait bien venir du tourisme en réalité virtuelle. La possibilité de “voyager depuis son canapé” permettrait de réconcilier le besoin de dépaysement des voyageurs avec l’impératif d’un tourisme raisonné. C’est en tout cas le pari que fait Emissive, une société spécialisée dans les expériences immersives et qui vient de réaliser une levée de fonds de 2,9 millions d’euros : “Fortement impacté par la crise liée à la Covid-19, le secteur du tourisme cherche à se réinventer pour faire face aux contraintes sanitaires actuelles. Les technologies immersives offrent également de nouvelles opportunités de voyages et de découvertes de destinations lointaines tout en réduisant son impact carbone”.

L’avantage est double puisque les entreprises de services de réalité virtuelle proposent aux utilisateurs une expérience touristique “propre”. Du côté des acteurs du tourisme, ils sont alors accompagnés dans leur innovation technologique, et peuvent ainsi démocratiser leur offre auprès du plus grand nombre. C’est également une nouvelle façon de faire du voyageur une véritable partie prenante dans la sauvegarde d’un environnement donné. Par exemple, l’Océanopolis de Brest a créé en 2017 un laboratoire immersif en 3D pour informer et éduquer sur la biodiversité.

Disponible sur Playstation ou Steam, et à l'aide d'un casque comme l'Oculus Quest, le touriste de demain pourra choisir de conduire un Mars Rover dans Mars 2030 ou de nager avec des baleines bleues :

Un casque VR coûte désormais moins cher qu'un smartphone, et la généralisation de son usage va faire baisser les prix.

La réalité virtuelle devient un véritable outil de communication au service d’un tourisme durable. Encore faut-il que l’immersion en elle- même soit à la hauteur des attentes qu’elle suscite.  Demain, le tourisme virtuel sera-t-il plus ébouriffant que la réalité ?

Réalité virtuelle… expérience irréelle ?

Les possibilités offertes par la réalité virtuelle au service du tourisme semblent infinies. Mais parfois, un peu comme sur les réseaux sociaux, on expérimente un décalage entre les attentes placées derrière cette technologie, et la réalité.

C’est en tout cas ce que constate Omer Pesquer, consultant senior spécialiste des technologies et des usages associés au numérique pour le secteur culture, dans une récente interview sur la Nuit des Musées 2020 : “les visites virtuelles ne cherchent qu’à reproduire la réalité de l’exposition, et c’est souvent décevant {...} Être seul dans sa visite virtuelle, c’est déprimant !”. Les visites virtuelles appliquées au tourisme ne seraient-elles dès lors qu’une nouvelle façon de masquer notre solitude 2.0 ?

C’est une question qui se pose. Le tourisme est une expérience avant tout sociale. A l’image des interrogations qui ont émergé sur la massification des réseaux sociaux, les acteurs du tourisme ne doivent pas oublier que la réalité virtuelle doit être pensée et utilisée avant tout comme un créateur de liens, qui connecte de façon encore plus intrinsèque le voyageur à l’autre et à son environnement. Bref, l’utilisation de la réalité virtuelle ne doit pas se confondre à des sensations réellement absentes.

Et si paradoxalement, l'avenir nous préservait des écrans, en poussant les usages technologiques si loin que nous n'aurions pas à être équipé de dispositifs encombrants ? La société Mojo Vision a présenté récemment un prototype de lentilles de contact intelligentes qui permet d'afficher des applications à la surface même des yeux du porteur. Le champs des possibles s'élargit !

Illustration issue du site Mojo Vision

Avec son écran intégré, ces lentilles donnent des informations en temps opportun sans compromettre la vision. Plus besoin par exemple de suivre son trajet sur son smartphone, on se laisse guider par une couche supplémentaire qui enrichit notre expérience. "L'humain augmenté" serait-il le maillon manquant pour faire de cette réalité améliorée une expérience sociale loin des clichés du voyageur solitaire, prisonnier du dispositif technologique ?

Aller plus loin :
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