Conversation à la nuit tombée avec Laurent Queige (1/2)

Conversation à la nuit tombée avec Laurent Queige (1/2)

Laurent Queige, directeur du pôle Divertissement au Welcome City Lab, a échangé avec nous sur sa vision et ses conseils pragmatiques pour enfin prendre sa place dans le monde de la nuit !

Depuis maintenant plus de 30 ans, le tourisme nocturne émerge lentement parmi les axes stratégiques de nombreuses destinations urbaines désireuses d’attirer un public plus jeune et dynamique. Nous avons voulu nous intéresser au tourisme de nuit, qu’il soit urbain ou rural, festif ou introspectif, de ses problématiques et de ses enjeux. Laurent Queige, directeur du pôle Divertissement / Welcome City Lab chez Paris&Co, a échangé avec nous sur sa vision et ses conseils pragmatiques pour enfin prendre sa place dans le monde de la nuit !

La Tangente : Laurent, quelles sont vos premières observations sur la place que prend l’écosystème touristique dans le monde de la nuit ?

Laurent Queige : Il y a un déficit de traitement de la part des professionnels du tourisme eux-mêmes, qui estiment que la nuit est de l’ordre du privé et de l’intime, que les gens vaquent à leurs occupations, et que par conséquent, en tant que professionnel, on n’a plus rien à leur dire à partir d’une certaine heure. C’est faux. Je pense notamment à une problématique importante vis-à-vis de nos visiteurs, au-delà des visites académiques de site : ce qui va faire le sel d’un séjour touristique, c’est la rencontre avec des habitants, ou l’échange avec d’autres visiteurs, dans un cadre convivial ou informel. Or quel est le moment dans nos 24 heures quotidiennes qui permet le plus cette dimension ? C’est la nuit. Car les gens locaux sont davantage disponibles après 19h, nous sommes dans un autre moment de la journée qui nous transforme et nous amène à des schémas relationnels moins académiques. La nuit permet d’amener cette autre expérience d’un territoire.

Il y a donc une opportunité pour les territoires d’investir le monde de la nuit plutôt que d’essayer de se différencier sur des valeurs que partagent toutes les destinations dans leurs communications.

En effet il y a un grand potentiel. Contrairement à ce qu’on constate en Allemagne, aux Pays-Bas ou en Espagne, très peu de collectivités en France ont vraiment investi de façon volontaire l’ensemble des champs qu’ouvre la nuit, c’est-à-dire sous un angle culturel, relationnel, touristique, et pas uniquement festif, par frilosité, conservatisme ou méconnaissance.

Tout d’abord, quels sont les freins que vous avez identifiés concernant le monde de la nuit et ses convergences possibles avec notre secteur ?

D’abord on assiste à un morcellement de l’information sur la vie nocturne, qui est un phénomène accentué par les réseaux sociaux : si tu n’es pas sur le bon compte Facebook ou Instagram, tu as difficilement accès à l’information, ce qui est en général le cas des visiteurs d’une destination. La presse généraliste qui permet d’avoir une vision transversale de l’ensemble des opportunités a en partie disparue. Aujourd’hui tout est digital, mais par tribu, on se regroupe par affinité.

Autre phénomène accentué par la crise sanitaire, c’est le raisonnement suivant : “puisque la vie nocturne est compliquée à identifier, alors je la fais chez moi ou entre amis, y compris par écrans interposés”, ce qui est terrible en termes de qualité de relation sociale. Un des plus grands ennemis de la fête, c’est Netflix !

Autre sujet pour nous, le décalage considérable entre les professionnels de la nuit festive et le monde du tourisme : ce sont deux mondes qui s’ignorent encore. Quand on dit aux personnes qui ont des bars ou salles de concert, que 10 à 30% de leur clientèle sont des touristes, ils ne le savent pas eux-mêmes. Ils ne connaissent pas bien leur clientèle et n’analysent pas le phénomène d’attractivité qu’ils peuvent représenter. Il y a un véritable travail de communication vis-à-vis de tout cet écosystème de professionnels de la nuit, pour tisser des liens avec eux. Pour un territoire, c’est faire en sorte de leur apporter une clientèle complémentaire, mais aussi de jouer un vrai rôle d’ensemblier de la nuit. On devrait pouvoir dire aux visiteurs ce qu’ils peuvent faire après l’heure du dîner, et les emmener également au-delà de minuit, si l’offre existe.

On pourrait imaginer pour nos visiteurs un véritable parcours de nuit, alternant des moments de déambulation, de visites de site ou d’établissement et surtout de rencontres avec les habitants d’un territoire.

Quelles sont les problématiques inhérentes à la nuit à prendre en compte ?

Plusieurs difficultés se posent : d’abord la problématique de la mobilité, qui revient tout le temps. Il y a moins de transport en commun, on a plus la crainte de se perdre. Aujourd’hui, grâce à l’outil digital, il y a une plus grande diversité de l’offre de mobilité qui permet de répondre au problème. Deuxième difficulté, c’est la disponibilité des sites et des lieux, car beaucoup fonctionnent sur un horaire de jour. Il faut savoir s’adapter pour des sujets évènementiels, avec une ouverture de nuit un peu plus forte. Même à Paris, des lieux comme le Petit Palais, propose des « nocturnes » le vendredi jusque 20h seulement, pour des raisons d’horaires de travail du personnel. La troisième problématique qu’il faut traiter, c’est de pouvoir transposer la nuit certaines activités traditionnellement diurnes : par exemple, comment transposer la nuit une activité comme le char à voile sur les plages du Nord ? Il y a probablement un niveau d’adaptation à trouver. On peut par exemple proposer une visite de musée dans un contexte nocturne : sans être obligé d’ouvrir tout le site, on peut thématiser un parcours.

Quel est votre regard sur les maires de nuit et ces initiatives qui veulent faire converger les intérêts des noctambules avec ceux des riverains ?

Ces initiatives ont le mérite d’exister mais, en général, elles se focalisent sur les plaintes des riverains concernant le bruit, et n’ont plus le temps de traiter d’autres dimensions tout aussi importantes : urbanisme, gestion des flux, mobilité, sécurité, professionnalisation des acteurs de la nuit, etc... A ma connaissance, il n’y a pas encore de territoire rural français qui ait mis en œuvre une stratégie de valorisation des activités nocturnes, et pour tous types de public : famille, seniors, personnes en situation d’handicap... ou encore les gens qui recherchent une dimension poétique et plus contemplative dans la nuit !

Comment appréhender la nuit pour qu’elle soit mieux pensée par notre secteur ?

Il y a trois différentes temporalités dans la vie nocturne : d’abord l’avant minuit, qui est le moment de l’apéro, du dîner et de l’après-dîner. Il y a ensuite autour de minuit et 2h du matin, qui est souvent investi par le monde du spectacle et de la fête. Puis après 2h du matin, où on rentre dans un temps souvent purement festif. La nuit, ce n’est pas que le 2h-4h du matin, ça peut être avant, et ça ouvre un champ des possibles considérable.

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